McDonald's regrettera longtemps d'avoir intenté un procès contre deux
écolos londoniens, végétariens et malins. Bien sûr, les tracts que
distribuaient Helen Steel et Dave Morris devant les restaurants de la
chaîne de hamburgers pouvaient paraître infamants, dénonçant
pêle-mêle la «torture» des animaux transformés en viande hachée ou les
conditions de travail chez McDonald's. Mais leur diffusion était limitée,
et leur groupe, London Greenpeace (sans relation avec la multinationale
de l'écologie), menaçait de plier bagage pour manque de fonds et
d'audience.
Trois ans plus tard, à l'issue du plus long procès de l'histoire judiciaire britannique, 313 jours, les deux militants sont devenus des héros, multipliant interviews et interventions. Et McDonald's a dû en 40 000 pages répondre point par point aux accusations de Steel et de Morris. Techniquement, McDo a gagné hier son procès en diffamation, mais le mal est fait, d'autant que le juge dans son arrêt de 765 pages a confirmé la véracité de plusieurs accusations, notamment sur l'exploitation des employés et la cruauté envers les animaux. Le procès quel qu'en soit le verdict est devenu celui du géant du hamburger. Un site sur l'Internet consacré au procès McSpotlight (www.mcspotlight.org) raconte l'ensemble de l'affaire et permet de décharger dans la langue de son choix un tract anti-McDo ou de participer à un passionnant groupe de discussion sur les vertus du soja. Un livre expose également l'histoire des deux David contre le Goliath de la junk food, et toutes les télévisions du monde et tous les journaux se sont fait l'écho du procès . Un désastre en terme de relations publiques pour la firme. Ce succès paraissait pourtant impensable lorsqu'en septembre 1990 McDonald's porte plainte contre cinq militants de London Greenpeace, tous accusés d'avoir diffamé la compagnie et sa gastronomie. McDo leur met un marché en main : ou vous vous excusez publiquement ou nous vous mettons un procès sur le dos qui vous ruinera. Trois écolos cèdent. Morris et Steel décident de résister. L'un est chômeur, l'autre barman à temps partiel, et avec leurs faibles revenus n'ont rien à perdre. McDonald's en revanche déploie toute sa logistique juridique et marketing. Il prend le meilleur avocat de Londres et engage une équipe de détectives chargés d'infiltrer le groupe végétarien. De l'autre côté, les deux écolos se voient refuser l'aide judiciaire et décident de se défendre, sans avocat, une tâche colossale. Ils doivent prouver toutes leurs assertions, témoignages à l'appui livres, films ou journaux sont inacceptables. McDo, prétextant de la technicité de l'affaire, réussit à imposer un procès jugé par un juge et non par un jury plus favorable a priori aux petits. Mais Steel et Morris s'accrochent, soutenus par un réseau de militants très professionnels et d'anciens employés de McDo. Prenant le géant du hamberger à son propre piège, ils font défiler au tribunal tous les grands patrons de McDo. L'un deux, témoin à charge involontaire, avoue: «Je suis né avec du ketchup dans les veines.» Des documents secrets de la firme dont l'un accablant qui admet: «Nous ne sommes pas ici pour bien nourrir les gens» sont rendus publics. Un cancérologue employé par McDo reconnaît que certaines accusations du tract originel sur la nocivité des McDo sont «raisonnables». Toute la machinerie marketing de McDonald's, qui attire les enfants avec son clown Ronald pour créer une accoutumance, est démontée. On apprend qu'un McDo de Colchester est régulièrement inondé par un égout. le procès tourne à la farce. Un détective de la firme tombe amoureux d'une écolo et change de camp. Tous les soirs, le site web rapporte l'ensemble de l'audience à la planète entière. McDonald's sent le procès lui échapper. En juin 1995, des grands patrons de McDo Etats-Unis viennent à Londres pour essayer de faire la paix. Steel et Morris refusent compromis et argent, et racontent tout. McDonald's perd une nouvelle fois la face. Et ce ne sont pas les 60 000 livres (570 000 francs) accordées hier par le juge au géant du hamburger, qui aura dépensé 10 millions de dollars (60 millions de francs) pour ce procès, qui rachèteront ce désastre publicitaire. |